La libération de Mulhausen
15 mars 1945 - la Libération de Mulhausen
Extrait du livre "Mulhausen, Histoire et mémoire" d'Antoine Wathle
Depuis le 6 juin 1944 les Alliés ont débarqué en Normandie et depuis le 15 août en Provence.
En quatre mois les occupants sont repoussés vers le Reich dont, selon eux, l'Alsace fait partie intégrante. Le serment de Koufra faisait de la libération de Strasbourg un objectif presque sacré pour les soldats de la France libre, les combats sont donc inévitables en Alsace. Balayant les hésitations américaines qui voulaient plutôt s'engager en Allemagne par la Lorraine et la Sarre, le général Leclerc lance le raid de la 2'"" DB en direction de Strasbourg à partir du 20 novembre. Évitant Phalsbourg et le col de Saverne, les « sous-groupements» de cette division passent plus au nord et plus au sud pour déboucher à l'improviste dans la plaine d'Alsace.
C'est ainsi que les hommes de Rouvillois atteignent la Petite-Pierre dès le 21 novembre et poussent vers Bouxwiller. Prise à revers, Saverne tombe le 22 novembre et le lendemain, peu après 10h du matin, les premiers éléments de la colonne Rouvillois sont à Strasbourg: « tissu est dans iode ».
Pour consolider ce fait d'armes prestigieux, les Américains du 6ème CAUS commencent à libérer les villages des Vosges du Nord.
Dès le 26 novembre les troupes de la 45ème DIUS font des incursions dans le secteur de Rothbach-Pfaffenhoffen. Les Allemands de la 245ème ID ne quittent Mulhausen que le 28 novembre après midi, après avoir fait sauter le pont sur la Rothbach, et se replient sur Offwiller.
Le 179ème RIUS qui libère le village aurait, selon certains témoignages, perdu trois hommes ce jour-là. Le lendemain de violentes contre-attaques allemandes se produisent dans tout le secteur Rothbach-Moder, en particulier à Mulhausen, Kindwiller et Uberach.
Le 30 novembre, Mulhausen est encore bombardé mais les Américains tiennent bon. Le PC du 157ème RIUS est même déplacé d'Ingwiller à Mulhausen dans le manoir des de Gail. En ces tous premiers jours de la présence américaine, les rues et les cours du village sont remplis de matériel de guerre: chars de combat, jeeps, haf-tracks, Doodges tractant des canons, camions chargés de munitions et de ravitaillement. Une infirmerie est organisée rue d'Uhrwiller « in's Reysse ». Les combats sont permanents et parfois se produisent de terribles méprises, comme le 2 décembre. Une colonne de soldats américains revenait de mission dans la forêt d'Uhrwiller. Alors qu'ils longeaient le ruisseau de la Steckmatt marchant en file indienne dans un épais brouillard, ils se font mitrailler par le char posté sur la hauteur qui devait les protéger. Bilan : 20 morts.
Les combats se déroulent sur terre mais aussi dans les airs.
Le 3 décembre, deux P 47 portant des marques françaises lâchent quatre bombes à proximité du village.
Le 4 ou le 5 décembre, un combat aérien entre deux avions de chasse se déroule dans le ciel de Mulllausen. Dans le feu de l'action le pilote américain, qui poursuivait l'avion allemand, percuta la colline du Daytenholz - Galgenberg. Le moteur de l'avion se planta dans la terre. La carlingue du Mustang fut projetée 200 mètres plus loin à côté de la route qui mène à Uhrwiller. Les Américains, qui avaient installé une antenne d'infirmerie dans le hangar de la maison des « Schlossbecke », Impasse du Château, récupérèrent rapidement le malheureux pilote: mais celui-ci succombera quelques temps après.
Le 4 décembre le PC du 157ème RIUS est transféré de Mulhausen à Zinswiller car les combats s'éloignent en direction d'Oberbronn, Niederbronn, Mertzwiller. Le château de GAIL accueillera le lendemain le PC de la 45'me DIUS, gardée par la police militaire reconnaissable à ses brassards MP. Il y restera jusqu'au 15 décembre, date à laquelle il est déplacé dans l'Outre-Forêt.
Pendant cette première libération, marquée par de durs combats, les soldats américains logent chez l'habitant. Selon la fortune des combats ils traitent les habitants du village correctement, distribuant à l'occasion des barrettes de chocolat aux enfants, mais ils pouvaient aussi faire preuve d'agressivité et pointer leurs armes contre les civils. Certains d'entre eux, avant de quitter le village pour d'autres combats, n'ont pas hésité à voler toutes sortes de « souvenirs ».
Leurs camarades qui viendront libérer définitivement le village en février-mars 1945 ne se comporteront pas de façon plus respectueuse. C'est ainsi que le coffre-fort de la Caisse Agricole, situé dans la maison du gérant, sera fracturé et les 9.077 Reichsmark qui s'y trouvaient alors ont disparu.
Le 16 décembre le Feldmarschal Von Rundstedt déclenche l'opération «Wacht am Rhein ». L'avance américaine qui avait atteint les premiers villages du Palatinat est stoppée et la conservation de l'Alsace n'est plus une priorité pour l'état-major américain.
Le 21 décembre les troupes américaines quittent Mulhausen encore à peu près intact et désormais vide de militaires. La situation devient grave avec le déclenchement de la contre-attaque allemande (opération «Nordwind ») le 1er janvier 1945. Les combats se rapprochent de nouveau du village: le 14 janvier les Allemands reprennent Wingen sur Moder ct du 5 au 20 janvier ils vont livrer des combats meurtriers à Reipertswiller où le 157ème RIUS va subir de lourdes pertes.
Le 7 janvier un nouveau régiment, le 276ème RIUS installe son PC à Mulhausen.
Le 10 et 11 janvier quelques officiers français sont de passage dans le village. La violence des combats entraîne les Américains à se replier le 20 janvier derrière la Moder. Alors qu'il gèle et que la neige tombe abondamment, une grande partie des habitants de Rothbach et de Bischholz fuient leurs villages. Beaucoup d'entre eux sont bloqués par la neige à Mulhausen.
C'est dans ces conditions dramatiques que les Allemands réoccupent le village.
Le 24 janvier, dès 6 heures du matin, les obus pleuvent sur les maisons et les bâtiments agricoles. Les SS avaient lancé une attaque sur Bischholz, Mulhausen et Niefern. La population est réfugiée dans les caves.
À 10 heures du matin le village est réoccupé. L’attaque se poursuit vers Schillersdorf, mais finit par être stoppée. La ligne de front, matérialisée par des tranchées et des cordons de mines posés fin janvier par des prisonniers russes, court à quelques dizaines de mètres des maisons du village. Mulhausen se retrouve sous le feu continuel des Américains. La population vit terrée dans les caves les plus solides.
La cave de GAIL, enterrée et solidement voûtée, protégée par une porte blindée, abritera jusqu'à 80 personnes, villageois et réfugiés des villages voisins. La vie est régie par le rythme des combats. Pour se nourrir, on mange souvent la viande provenant du bétail blessé et qu'il faut abattre. Mais parfois cette nourriture est avariée par le phosphore contenu dans les obus incendiaires.
Pendant le mois de février 1945 beaucoup de bâtiments sont gravement touchés. Le foin et la paille, entassés dans les granges, nourrissent de gigantesques incendies que la population n'arrive pas toujours à éteindre. Elle ne dispose que de l'eau tirée des puits et les combats rendent la lutte contre le feu dangereuse. Le quartier qui entoure l'église subit les tirs des obus de 210, car les Allemands utilisent le clocher comme poste d'observation. Plus les semaines passent, plus la pression américaine se fait forte et les soldats allemands évitent même de tirer sur l'avion d'observation américain (« fiselerstorch ») qui survolait le village de temps en temps. L’artillerie US pouvait ainsi concentrer les tirs des cibles plus précises comme le char Tigre placé quelque temps devant la maison Dietenhoeffer.
Les soldats allemands de la 4ème Compagnie du 156ème VGR qui tenaient Mulhausen et Offwiller après le départ des SS perdaient beaucoup d'hommes. Les blessés furent soignés avec les faibles moyens encore à leur disposition dans une infirmerie installée dans la cave de Madeleine Stier. Les morts furent enterrés au cimetière, côté rue, de part et d'autre de la porte d'entrée. Au cours de ce mois de février, le sol était tellement gelé, qu'un soldat qui avait succombé à ses blessures ne put pas être enterré. Son corps fut posé à même le sol et simplement couvert de paille.
Les civils n'échappent pas aux blessures et à la mort. C'est ainsi que, le 24 février, Henri Muhr et Catherine Herr née Schauli sont tués par des éclats d'obus. Fin février les combats redoublent d'intensité. Les soldats américains viennent même régulièrement de nuit, occuper la tuilerie Bergantz ainsi que la Radmühle et la Herzmühle. Ils se retiraient à l'aube.
Le 1er mars le commandant de la Wehrmacht vient annoncer au maire Georges Peter, réfugié dans la cave des de Gail qu'il fallait évacuer toute la population civile du village. Le maire refuse. Et les combats sont de plus en plus destructeurs et meurtriers.
Des tracts américains, envoyés par des obus, préviennent la population d'une offensive imminente.
En effet, le 15 mars, la 103ème US ID (dite « Cactus ») passe à l'attaque. C'est le début de l'opération « Undertone » .
Dès 4 heures du matin la population de Mulhausen avait entendu au loin les tirs ininterrompus des chars Shermann.
À partir de 7 heures le village est la cible de ce «Trommelfeuer ».
Toute la population est dans les caves. Au bout d'une heure de ce cauchemar les tirs au fusil remplacent le sifflement des obus. Dans la confusion provoquée par les destructions et les incendies, certains habitants quittent leurs abris trop tôt. Georges Burckel est mortellement blessé par un soldat du 411ème RIUS.
L’après-midi de ce 15 mars tous les soldats allemands sont hors de combat, tués ou blessés.
Quarante- cinq hommes du 165ème VGR sont capturés. De très nombreux bâtiments privés ou publics brûlent. La petite construction carrée de la Wacht, ombragée par deux grands châtaigniers, est pulvérisée.
Ce jour-là disparurent aussi dans les flammes de la maison de Georges Peter les tableaux familiaux représentant les générations successives des de GAIL depuis 1734, que le maire avait mis à l'abri à son domicile en 1941.
L’opération « Undertone » se poursuit le 16 et 17 mars. Les résistances allemandes s'effondrent et le repli est général.
Mulhausen enterre ses morts. Après le déminage des routes et du cimetière, un enterrement collectif est organisé pour toutes les personnes décédées ou mortes par les tirs d'armes de guerre entre janvier et mars.
Tout autour du village, aussi bien en direction de Schillersdorf (Sandgrube) que vers Uhrwiller et Niefern (Rabhiesel et Galgenberg), gisent les corps des soldats allemands et américains. Ces derniers ont été ramassés par leurs camarades. Les prisonniers allemands, chargés du déminage, durent s'occuper des leurs et les enterrer dans des fosses communes en contrebas du cimetière. Plusieurs de ces démineurs laisseront leur vie lors de cette dangereuse corvée. Des accidents, blessant grièvement ou tuant des adultes, mais surtout des enfants, se produisent encore jusqu'en 1948.
Les dépouilles des soldats allemands tués lors des combats furent enterrées dans le cimetière du village et Mme Dietenhöfer fut chargée de l'entretien des 16 tombes où reposaient 28 corps, dont 6 non identifiés. (C.M. du 4 février 1948, mais les chiffres varient. Selon d'autres sources, il y aurait eu 11 tombes individuelles et 2 tombes collectives contenant respectivement 7 et 11 corps.).
Le 26 octobre 1961, il a été procédé à l'exhumation de 26 corps pour les transférer au cimetière militaire allemand de Niederbronn les Bains, où ils sont inhumés à présent.
15 mars 2015 - 70ème anniversaire de la Libération de Mulhausen
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